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Guide : Reprise d’une entreprise en difficulté en France

10 min de lectureJanvier 2025

1. Identification des entreprises en difficulté

Les entreprises en difficulté présentent souvent des indicateurs financiers en déclin, symbolisés ici par une tendance graphique orientée à la baisse. Repérer ces entreprises requiert de connaître les bons canaux d’information et d’évaluer si leur reprise est viable. Les repreneurs potentiels peuvent rechercher des affaires en difficulté via plusieurs sources :

- Plateformes spécialisées et réseaux officiels – Des sites publient des annonces de sociétés en redressement ou liquidation. Par exemple, le Conseil National des Administrateurs Judiciaires (CNAJMJ) propose la plateforme Actify, et l’ASPAJ (Association professionnelle des administrateurs judiciaires) diffuse des appels d’offre de cession. Des portails comme Enchères publiques ou Infogreffe listent également des entreprises à reprendre suite à procédures. Le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) publie quant à lui les ouvertures de procédures (redressements, liquidations), consultable gratuitement en ligne. Les réseaux professionnels et les cabinets spécialisés en transmission d’entreprise peuvent enfin signaler de manière confidentielle des PME en difficulté cherchant un repreneur.

- Tribunaux de commerce et mandataires – Sur place, les tribunaux de commerce affichent ou communiquent les affaires en cours de cession. Assister aux audiences dédiées peut informer des opportunités à la barre. Les administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs jouent un rôle clé : ils gèrent les entreprises en procédure et cherchent activement des candidats repreneurs sérieux. On peut se faire connaître d’eux pour être informé en amont des dossiers disponibles. Par ailleurs, les annonces légales de cession (souvent publiées dans la presse régionale ou spécialisée) sont une autre voie pour détecter ces opportunités.

Critères de sélection des opportunités – Toutes les entreprises en difficulté ne se valent pas en termes de potentiel de redressement. Il convient d’évaluer :

- La cause des difficultés : est-elle conjoncturelle (crise sectorielle, perte d’un client majeur) ou structurelle (modèle économique obsolète, marché en déclin) ? Une société aux produits dépassés ou promis à l’interdiction réglementaire a peu de chances de rebondir. En revanche, une entreprise dont le marché reste porteur mais qui souffre d’erreurs de gestion peut constituer une bonne affaire si l’on apporte de meilleures pratiques.

- Le niveau du passif et des pertes : des dettes trop lourdes ou des pertes chroniques depuis de nombreuses années compliquent le redressement. Une opportunité viable est souvent une entreprise dont l’activité génère encore un certain chiffre d’affaires (preuve d’un marché existant), mais freinée par une structure de coûts inadaptée ou des problèmes de trésorerie. Par exemple, une PME en difficulté peut parfois être redressée par de simples mesures de gestion (resserrement des dépenses, repositionnement commercial) sans nécessiter d’investissements financiers exorbitants.

- Les atouts restant de l’entreprise : base de clients fidèles, savoir-faire particulier, marques ou brevets valorisables, équipe clé compétente encore en place, etc. Ces éléments intangibles peuvent justifier qu’un repreneur s’y intéresse malgré la situation. À l’inverse, si la réputation est ternie et l’équipe démotivée, la relance sera plus ardue.

Enfin, le profil du repreneur doit “coller” à l’entreprise cible : secteur d’activité maîtrisé, ressources financières suffisantes, et projet cohérent. Cette cohérence homme/projet est déterminante et d’ailleurs examinée par le tribunal lors d’une reprise à la barre. En somme, identifier une entreprise en difficulté passe par une veille active sur les canaux d’annonces spécialisés et une sélection rigoureuse des dossiers présentant un potentiel de retournement réaliste.

2. Analyse financière et diagnostic des problèmes

Une analyse financière rigoureuse – illustrée par l’examen d’indicateurs de performance ci-dessus – est indispensable pour diagnostiquer objectivement l’état d’une entreprise en difficulté. En évaluant les tendances comptables sur plusieurs exercices, le repreneur peut comprendre l’origine des problèmes et mesurer l’ampleur des redressements à opérer.

Étudier les comptes et ratios clés – Le repreneur doit passer au crible les bilans et comptes de résultat des 3 à 5 dernières années. Quelques indicateurs financiers d’alerte sont généralement révélateurs :

- Baisse du chiffre d’affaires : Une tendance prolongée à la diminution du CA est un signal d’alarme évident. Il faut en mesurer l’ampleur (déclin léger ou chute brutale) et en chercher la cause : perte de clients majeurs, concurrence accrue, problème commercial interne. Par exemple, une érosion progressive peut indiquer une offre moins attractive ou un marché en mutation.

- Détérioration de la marge et des résultats : Si le CA baisse ou stagne tandis que les coûts fixes restent élevés, la marge se réduit. Une entreprise qui casse ses prix pour conserver du volume verra sa marge brute chuter dangereusement. L’analyse doit porter sur la marge opérationnelle (ex. EBE – Excédent Brut d’Exploitation) et le résultat net. Des pertes nettes sur plusieurs exercices consécutifs indiquent un problème de rentabilité à résoudre d’urgence.

- Tensions de trésorerie : « La trésorerie est le nerf de la guerre » rappelle un expert. Un fonds de roulement négatif, une montée de l’endettement court terme (découverts, retards fournisseurs) ou des incidents de paiement signalent que l’entreprise pourrait être en cessation de paiements imminente. Examiner le cash-flow d’exploitation permet de voir si l’activité génère ou consomme de la trésorerie.

- Endettement excessif : Des ratios d’endettement trop élevés compromettent la viabilité. Par exemple, un ratio dettes financières / capitaux propres >> 1 indique une dépendance excessive aux créanciers. De même, si les charges d’intérêts dépassent 30% de l’EBE, l’entreprise peine à couvrir le service de sa dette. Ces éléments chiffrés donnent la mesure du redressement nécessaire (désendettement, apport de fonds propres, etc.).

Ceci est un exemple fictif d’analyse : des indicateurs au rouge sur la plupart des lignes confirment une situation critique. En pratique, l’analyse devra être affinée par secteur (par ex. examiner le carnet de commandes pour une entreprise industrielle, le taux de marge par produit, etc.). L’objectif est de distinguer les symptômes des causes : une baisse de chiffre d’affaires peut provenir d’un produit inadapté au marché ou d’une force de vente insuffisantes; une structure de coûts trop lourde peut révéler une dérive des frais de gestion; des difficultés de trésorerie peuvent résulter de délais de paiement clients mal gérés.

Outils et méthodes de diagnostic – Pour comprendre les causes profondes des difficultés, il convient de réaliser un audit interne et externe :

- Analyse du contexte de marché : identifier les évolutions du secteur (nouveaux concurrents, évolution de la demande, innovations technologiques). Une entreprise peut souffrir parce que son marché se contracte ou se transforme sans qu’elle s’adapte.

- Audit opérationnel et managérial : évaluer la gestion interne. Y a-t-il des dysfonctionnements dans l’organisation, une mauvaise communication interne, un manque de suivi des coûts ? Des problèmes de management (conflits d’associés, turnover élevé) peuvent aussi contribuer aux difficultées.

- Examen des processus clés : par exemple, délais de production trop longs, qualité défaillante entraînant des retours, etc. Ce sont parfois des causes cachées de la perte de clients ou de l’augmentation des coûts.

- Évaluation des points forts : le diagnostic n’est pas que négatif. Repérer ce qui fonctionne bien (segments rentables, clientèle fidèle, savoir-faire différenciant) aide à bâtir un plan de redressement en capitalisant sur ces atouts.

En complément, certains signaux faibles peuvent être recherchés au-delà des chiffres financiers. Le portail officiel souligne ainsi des signaux d’alerte variés : perte d’un client majeur, panne d’outil de production, conflit social, hausse soudaine des coûts de matière première ou de l’énergie. Diagnostiquer tôt ces problèmes (idéalement avant même la reprise) permettra de formuler une stratégie de retournement adaptée. En résumé, cette étape d’analyse approfondie des comptes et des causes des difficultés est cruciale pour décider de reprendre – ou non – l’entreprise, et pour préparer un plan de redressement réaliste.

3. Reprise à la barre du tribunal

Si l’entreprise convoitée fait l’objet d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire), sa reprise s’effectue dans un cadre judiciaire spécifique encadré par le Code de commerce. On parle de reprise « à la barre du tribunal ». Cette section explique les différentes procédures, le rôle des acteurs impliqués et le processus de candidature pour le repreneur.

Les procédures collectives ouvertes à la reprise – Il existe trois principaux types de procédures pour les entreprises en difficulté, avec des possibilités de reprise différentes :

- Sauvegarde : Procédure ouverte à la demande du dirigeant avant cessation de paiements. Elle vise à permettre à l’entreprise de se restructurer sans changer de propriétaire. Aucune cession forcée n’est prévue dans le cadre d’une sauvegarde – un tiers ne peut pas déposer d’offre sur l’entreprise dans sa globalité. Le dirigeant reste aux commandes pour exécuter un plan de sauvegarde. (Il peut toutefois céder volontairement une branche secondaire d’activité avec l’accord du tribunal, mais l’activité principale doit être préservée.)

- Redressement judiciaire (RJ) : Procédure ouverte une fois l’entreprise en état de cessation de paiements (elle ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible). Durant la période d’observation (généralement 6 mois, renouvelable), l’administrateur judiciaire tente d’élaborer un plan de redressement avec le dirigeant. Si le redressement par le dirigeant paraît impossible ou insuffisant, un plan de cession peut être envisagé, partiel ou total. C’est à ce stade que des repreneurs tiers peuvent soumettre des offres de reprise de l’entreprise (en tout ou partie).

- Liquidation judiciaire (LJ) : Si l’entreprise est en cessation de paiements sans perspective de redressement, le tribunal prononce la liquidation. Un mandataire-liquidateur est nommé pour vendre les actifs. La cession de l’entreprise (totale ou par lots) devient alors l’objectif principal, afin de réaliser les actifs et d’apurer le passif autant que possible. Le tribunal fixe un délai court (souvent quelques semaines) pendant lequel les candidats repreneurs peuvent déposer une offre auprès du liquidateur ou de l’administrateur.

En liquidation comme en redressement judiciaire, la cession se fait libre de dettes antérieures (sauf exception prévue dans l’offre). Cela signifie que le repreneur reprend les actifs (fonds de commerce, stocks, contrats, éventuellement une partie des salariés) mais pas le passif accumulé avant la reprise, qui sera effacé par la procédure. C’est un avantage déterminant de la reprise à la barre du tribunal.

Variantes et procédures pré-pack – Notons qu’il existe des mécanismes préventifs hybrides, par exemple le prepack cession, introduit en 2014. Il s’agit de préparer en amont (lors d’une conciliation confidentielle) un plan de cession qui sera homologué rapidement une fois la procédure collective. Le prépack permet de gagner du temps et de transférer l’entreprise au repreneur dans des délais très courts, minimisant la perte de valeur liée à l’incertitude. Cette solution, encore peu utilisée, requiert l’accord du débiteur initial qui participe à la préparation de sa cession. En pratique, la plupart des reprises d’entreprises en difficulté s’opèrent dans le cadre classique du redressement ou de la liquidation judiciaire.

Rôle des acteurs clés – Plusieurs intervenants gravitent autour du processus de reprise judiciaire :

- Le tribunal de commerce supervise la procédure. En RJ ou LJ, c’est lui qui au final statue sur l’offre de reprise à retenir, via un jugement. Son objectif légal est de privilégier l’offre qui assure le mieux la pérennité de l’activité et le maintien de l’emploi, tout en apurant le passif. Le tribunal nomme par ailleurs les administrateurs et mandataires et s’assure du bon déroulement des opérations.

- L’administrateur judiciaire (en RJ) ou le liquidateur (en LJ) est le chef d’orchestre de la cession. Il dresse un dossier de présentation de l’entreprise (données financières, liste du personnel, contrats en cours, inventaire des actifs, etc.) fourni aux candidats. C’est auprès de lui que les offres doivent être déposées. Il analyse les offres reçues, éventuellement demande des améliorations, et émet un rapport au tribunal sur ces offres. L’administrateur sert d’interface entre le tribunal, le dirigeant initial et les repreneurs pour faciliter la meilleure issue.

- Le cédant (dirigeant actuel) : en liquidation, il n’a plus vraiment la main, mais en redressement il peut avoir intérêt à soutenir l’offre d’un repreneur plutôt qu’une autre (par exemple, s’il souhaite que son entreprise survive avec un projet sérieux). Son avis est généralement recueilli sur les offres. Dans certains cas, le dirigeant lui-même peut être candidat à la reprise (offre de continuation par cession à une nouvelle société qu’il contrôle), bien que la loi encadre strictement cette possibilité pour éviter les abus.

- Le repreneur candidat : il doit se faire connaître vite, récupérer les informations auprès de l’administrateur, puis monter un dossier d’offre solide. Le sérieux et la crédibilité de l’offreur sont examinés (expérience, capacités financières). Le candidat peut échanger avec l’administrateur pour affiner son projet. Il pourra éventuellement soutenir oralement son offre à l’audience du tribunal selon les usages. S’il est retenu, il deviendra le nouveau dirigeant propriétaire des actifs repris une fois le jugement de cession prononcé.

Processus de dépôt et sélection des offres – Le calendrier est imposé et souvent très court. Dès l’ouverture de la procédure, le tribunal fixe une date limite pour les offres (parfois seulement quelques semaines, voire moins dans l’urgence). Le candidat reprend alors ces étapes :

1. Prise d’information – Retrait du dossier de présentation auprès de l’administrateur. Visites éventuelles de sites, rencontres possibles avec le dirigeant ou le personnel clé (avec accord de l’administrateur. C’est une phase cruciale étant donné le temps limité et les informations parfois incomplètes. Le repreneur doit analyser vite (voir section 2) et définir le périmètre qu’il souhaite reprendre (quels actifs, quels contrats, combien de salariés).

2. Rédaction de l’offre – L’offre de reprise, adressée à l’administrateur, doit comprendre tous les éléments exigés par la loi. Notamment : le périmètre exact des biens repris (matériel, stocks, marques…), la liste des contrats maintenus (baux, fournisseurs…), le nombre de salariés repris et leurs fonctions, le prix offert et ses modalités de paiement, et les conditions suspensives éventuelles. Attention, la loi interdit les conditions suspensives liées au financement : le candidat doit avoir sécurisé son financement à l’avance (fonds propres ou accord de prêt). Une offre ne peut pas être conditionnée à l’obtention d’un emprunt ultérieur – il faut prouver la disponibilité des fonds. En général, un plan d’affaires prévisionnel sur 2 à 5 ans est joint, montrant la stratégie de redressement et la viabilité du projet, ainsi que les garanties financières.

3. Amélioration et comparatif – Une fois les offres reçues, l’administrateur peut établir un tableau comparatif et solliciter les candidats pour une amélioration de leur proposition. Par exemple, si plusieurs offres sont proches, on pourra vous demander d’augmenter le prix ou de reprendre plus de salariés afin d’emporter la décision. Ces surenchères restent possibles jusqu’à généralement 48h avant l’audience finale. À noter qu’une offre déposée est ferme : le candidat ne peut ensuite la retirer ou la diminuer, sous peine de discrédit.

4. Audience de cession – Le tribunal de commerce, en présence de l’administrateur (qui présente son rapport) et éventuellement des candidats repreneurs, examine les offres. Il prend en compte les avis du cédant initial et des représentants du personnel (CSE) s’ils ont été consultés. Le tribunal évalue chaque projet selon les critères légaux : **pérennité du projet, préservation de l’emploi, et apurement du passif. L’offre qui présente les meilleures garanties sur ces points sera retenue. Par exemple, une offre assurant le maintien de 100% des emplois a de fortes chances d’être préférée, même si son prix est légèrement inférieur, car la loi donne la primauté à l’emploi.

5. Jugement et transfert – Par son jugement, le tribunal arrête définitivement l’offre choisie, ce qui emporte cession des actifs au profit du repreneur. Le repreneur entre alors en possession de l’entreprise reprise à la date fixée (souvent immédiatement ou sous quelques jours). Le jugement précise le sort des contrats, des biens et des salariés non repris (ces derniers seront licenciés aux frais de la procédure). À partir de là, la « nouvelle » entreprise démarre avec le périmètre repris, sous la direction du repreneur.

Reprendre à la barre comporte des avantages certains : le prix d’acquisition est souvent faible par rapport à la valeur d’une entreprise saine (on parle parfois de 1 € symbolique, ou d’une fraction du chiffre d’affaires annuel), car il s’agit davantage de reprendre un risque qu’un actif net. De plus, la reprise est purgée du passif ancien, et les coûts de restructuration (licenciements économiques des salariés non repris, résiliation des contrats non repris) sont pris en charge par la procédure collective elle-même. Le repreneur obtient ainsi une entreprise « nettoyée » et redimensionnée à moindre coût, ce qui peut représenter une excellente opportunité de croissance externe.

Cependant, les contraintes et risques sont nombreux : les délais serrés, le niveau d’information parfois imparfait, la nécessité de mobiliser des financements rapides sans garantie de succès, et l’obligation de convaincre le tribunal sur dossier. Il faut faire preuve d’une grande réactivité et préparer son plan de reprise en un temps record. Une fois l’entreprise reprise, aucun recours n’est possible contre le cédant antérieur – d’où l’importance d’anticiper tous les écueils lors de l’analyse préalable. En somme, la reprise judiciaire est une course contre la montre qui récompense les repreneurs bien préparés, disposant de conseils expérimentés et d’une vision claire pour l’entreprise reprise.

4. Mise en place d’une stratégie de redressement

Devenir propriétaire d’une entreprise en difficulté n’est que le début du défi : il faut ensuite la relancer sur le chemin de la viabilité. Une fois la reprise effectuée (idéalement après une phase de préparation en amont), le repreneur doit déployer un plan de redressement structuré, en tenant compte de la taille de l’entreprise (TPE/PME) et de son contexte. Voici les étapes essentielles et leviers d’action pour réussir le retournement :

a) Stabilisation financière à court terme – Dès la reprise, la priorité est d’assurer la trésorerie pour les premiers mois. Le repreneur injecte souvent un fond de roulement initial (en fonds propres ou via un prêt déjà négocié) car l’entreprise reprise sort généralement exsangue financièrement. Il convient de rétablir la confiance des fournisseurs (paiement comptant au début si nécessaire) afin de sécuriser les approvisionnements. Si l’entreprise était en déficit, il faut réduire la « casse » immédiatement : geler les dépenses non indispensables, écouler des stocks dormants pour faire rentrer du cash, éventuellement céder des actifs non stratégiques pour renflouer la trésorerie. L’obtention de nouvelles lignes de crédit peut s’avérer difficile tant que le redressement n’est pas avéré (les banques restent frileuses), mais des solutions de financement alternatif peuvent être envisagées : affacturage des factures clients, avances de trésorerie de la part de la nouvelle maison-mère si c’est une croissance externe, ou prêts d’honneur et aides publiques locales. Par exemple, certaines plateformes locales liées aux CCI peuvent, sous conditions, cofinancer le projet de reprise. L’important est de sécuriser le fonds de roulement pour éviter une nouvelle cessation de paiements juste après la reprise.

b) Restructuration des coûts et de l’organisation – Ensuite, il faut adapter la structure de l’entreprise à son niveau d’activité réel. Souvent, les entreprises en difficulté ont une base de coûts fixes trop élevée par rapport à leur marge brute. Le repreneur doit identifier rapidement les économies possibles : réduction des frais généraux (loyers, dépenses administratives), mutualisation de fonctions support si l’entreprise est adossée à un groupe, renégociation des contrats trop onéreux (fournisseurs, sous-traitants). Si le tribunal a autorisé la reprise partielle des effectifs, l’entreprise redémarre déjà allégée du coût des postes non repris. Néanmoins, il peut être nécessaire de réorganiser le travail des équipes restantes, de revoir certains processus pour gagner en efficacité. Par exemple, mettre en place un suivi de gestion plus serré (tableau de bord mensuel) afin de piloter la performance et de repérer toute dérive dès qu’elle apparaît. L’objectif est d’atteindre un point mort (seuil de rentabilité) le plus bas possible. Astuce TPME : parfois, il suffit de peu de choses pour améliorer le résultat – par exemple, revoir les abonnements inutiles, optimiser les achats courants en faisant jouer la concurrence (assurances, télécoms, fournitures), ou encore externaliser une fonction non stratégique pour convertir un coût fixe en coût variable. Chaque économie réalisée vient renforcer la trésorerie et les capacités d’investissement pour la suite.

c) Relance commerciale et repositionnement – En parallèle des mesures internes, il est crucial de s’occuper du redéveloppement du chiffre d’affaires. La survie de l’entreprise passe par le retour de clients et de commandes. Plusieurs axes stratégiques peuvent être combinés :

- Communication de reprise : rassurer les clients existants sur la continuité de l’activité. Informez-les que l’entreprise a été reprise et qu’un plan d’actions est en cours pour améliorer les produits/services. Il faut tenter de regagner la confiance des clients perdus en soulignant les changements positifs. De même, un dialogue avec les fournisseurs clés permet de sécuriser les approvisionnements et possiblement d’obtenir des conditions plus favorables une fois la confiance rétablie.

- Réévaluation de l’offre : analyser si certains produits ou services ne sont pas rentables ou plus demandés. On peut décider d’en abandonner quelques-uns pour se concentrer sur les segments porteurs. À l’inverse, il peut être opportun de développer de nouvelles offres ou fonctionnalités pour adresser les attentes du marché actuel. Par exemple, diversifier la gamme, moderniser un produit vieillissant, ou cibler une nouvelle niche de clientèle. Cette phase de « pivot » stratégique doit s’appuyer sur l’étude des causes de la crise identifiées en amont.

- Renforcement commercial : mobiliser l’équipe de vente (ou recruter si besoin) afin de générer du business rapidement. Fixez des objectifs atteignables pour remotiver les commerciaux, éventuellement avec un plan de primes sur la croissance du chiffre d’affaires. Reprendre une entreprise en difficulté, c’est souvent reprendre une base clients à réactiver – des campagnes ciblées (emailings, visites clients, offres promotionnelles de relance) peuvent aider à faire revenir du volume. Par ailleurs, le repreneur, s’il possède déjà une entreprise dans un secteur connexe, pourra créer des synergies commerciales : cross-selling auprès de ses propres clients, intégration de la force de vente, etc., ce qui est un avantage fréquent des reprises à la barre.

d) Gestion des ressources humaines et culture d’entreprise – Le facteur humain est déterminant dans le succès du redressement. Les salariés de l’entreprise reprise ont souvent vécu une période très difficile (salaires en retard, climat d’incertitude, image de « faillite »). Il est vital de remobiliser les équipes dès la reprise. Une communication transparente du nouveau projet s’impose : expliquer la vision, les changements prévus, mais aussi redonner de l’espoir quant à l’avenir de l’entreprise sous sa nouvelle direction. Impliquer les salariés clés dans l’élaboration du plan peut être bénéfique pour qu’ils se sentent acteurs du redressement. Le repreneur doit aussi identifier s’il y a des compétences manquantes ou inadaptées : parfois la crise découle en partie d’un manque de compétences (par ex. pas de responsable commercial compétent). En PME, le repreneur peut porter plusieurs casquettes au départ – mais il ne doit pas hésiter, une fois la situation stabilisée, à recruter des profils clés pour combler les faiblesses identifiées (un directeur des opérations, un responsable marketing digital, etc., selon les besoins).

Créer une nouvelle dynamique d’entreprise est important : célébrer les premiers succès (un gros contrat gagné, un mois redevenu profitable) pour montrer que l’effort porte ses fruits. « Le succès des reprises à la barre tient pour une grande part à l’adhésion des salariés au projet du repreneur » insiste un expert du restructuring. Il faut donc instaurer un climat de confiance, écouter les idées du personnel (qui a souvent une connaissance fine des problèmes opérationnels) et valoriser les talents internes. Sur le plan social, le repreneur bénéficie d’une certaine souplesse post-reprise (les contrats de travail ayant été transférés, toute modification doit suivre le droit commun mais une négociation collective peut accompagner les changements organisationnels). Maintenir un dialogue social ouvert aidera à éviter de nouveaux conflits.

e) Suivi du plan et ajustements – Une fois le plan de redressement lancé, le repreneur doit suivre de près les indicateurs pour mesurer l’efficacité des mesures. Mettre en place un tableau de bord mensuel avec quelques KPI pertinents (CA, marges par activité, trésorerie disponible, carnet de commandes, satisfaction client…) permet de voir si la trajectoire s’améliore. Par exemple, une augmentation progressive de la marge brute et la stabilisation du cash-flow d’exploitation seront de bons signes que l’entreprise sort la tête de l’eau. Au contraire, si certains voyants restent au rouge, il faudra réagir sans tarder en ajustant la stratégie : réduire encore les coûts, se séparer éventuellement d’une activité trop déficitaire, ou au contraire investir dans un segment porteur pour accélérer le redressement. Le plan de retournement est un document vivant qui doit s’adapter aux retours du terrain. N’hésitez pas à solliciter des conseils externes (expert-comptable, mentor d’expérience, réseaux d’accompagnement comme Réseau Entreprendre ou Bpifrance Excellence) pour avoir un regard critique sur les actions menées.

En somme, la stratégie de redressement d’une TPME en difficulté repose sur cinq piliers : restaurer la liquidité à court terme, réduire les charges et optimiser l’organisation, relancer la croissance du chiffre d’affaires, ressouder le capital humain autour du nouveau projet, et piloter rigoureusement la performance. Avec de la rigueur et de l’adaptabilité, de nombreuses entreprises parviennent à se remettre à flot quelques années après une reprise, là où une absence d’action énergique les aurait menées à la faillite définitive.

5. Exemples concrets de reprises réussies en France

Pour illustrer ces principes, voici quelques cas réels de reprises d’entreprises en difficulté qui ont abouti à un succès, grâce à des stratégies de redressement efficaces :

- Duralex (2021-2024) – Reprise par les salariés en coopérative : L’entreprise de verrerie emblématique Duralex, en redressement judiciaire en 2021, a été reprise par ses propres salariés sous forme de coopérative (SCOP) en 2022. Tous les emplois (226 salariés) ont été sauvés grâce à ce projet où 138 salariés sont devenus associés en investissant chacun au moins 500 €. Le tribunal d’Orléans a retenu cette offre salariée parmi trois candidats, privilégiant sa solide perspective de continuité et l’absence de casse sociale. La stratégie mise en place : soutien des collectivités (la Région a racheté les murs de l’usine pour soulager la SCOP des charges immobilières), lancement de nouveaux produits et partenariats (par exemple avec Le Slip Français pour diversifier la gamme de verre), et investissement dans l’outil de production. Résultat : dès le premier mois sous gestion coopérative, le chiffre d’affaires a dépassé les objectifs et des embauches ont été engagées (commerciaux) pour accompagner la reprise. Ce cas montre qu’une reprise en SCOP peut fonctionner, en misant sur l’engagement du personnel et l’ancrage local, lorsque l’activité a du potentiel (marque connue mondialement pour son « verre incassable ») et que les salariés sont prêts à innover pour la pérenniser.

- Kem One (2013-2021) – Retour d’un géant industriel grâce à un investissement massif : Kem One, acteur majeur de la chimie (PVC, soude) employant 1 400 personnes, a connu une cessation de paiements retentissante en 2013. Placé en redressement judiciaire, il a été repris fin 2013 par un industriel expérimenté, Alain de Krassny, à la tête d’un projet de continuation. La stratégie de redressement s’est étalée sur plusieurs années avec un programme d’investissement ambitieux de plus de 500 M€ pour moderniser les usines et améliorer la compétitivité. Par exemple, conversion de l’électrolyse à Lavéra pour réduire les coûts énergétiques, et construction d’un terminal portuaire pour sécuriser l’approvisionnement en éthylène. En parallèle, un travail de reconquête commerciale a été mené pour regagner la confiance des clients dans le secteur du bâtiment et de l’emballage. Les résultats ont suivi : qualité et fiabilité de production en hausse, retour à une rentabilité solide. En 2021, soit 8 ans après la reprise, Kem One est sorti officiellement du plan de redressement avec 6 ans d’avance sur l’échéancier initial. L’entreprise, redevenue profitable et pérenne, a même attiré des investisseurs : le propriétaire a pu céder Kem One au fonds Apollo à très bonne valorisation, actant ainsi la réussite spectaculaire du retournement. Ce cas exemplaire – bien que concernant un grand groupe – illustre qu’une entreprise en grande difficulté peut renaître lorsque le repreneur apporte l’expertise sectorielle et les ressources financières suffisantes, avec une vision stratégique de long terme.

- PME familiale du médical (Eric France, 2020) – Repreneur externe et nouveau souffle : Toutes les reprises réussies ne font pas les gros titres, mais méritent l’attention. Prenons le cas d’ERIC France, une PME francilienne éditrice de logiciels médicaux. En 2020, après des difficultés financières et de gouvernance, l’entreprise a été reprise par Claire P., une cadre issue de l’industrie pharmaceutique qui cherchait un projet entrepreneurial. Accompagnée par Réseau Entreprendre, la repreneuse a mis en place un plan de relance axé sur le développement de nouveaux modules logiciels et l’élargissement de la clientèle vers d’autres professions de santé. Grâce à sa persévérance – elle a démarché de nombreux cédants et mobilisé des experts métiers – et à son entourage de mentors expérimentés, elle a redressé progressivement la société. Deux ans après, ERIC France a renoué avec la croissance et embauché dans les fonctions commerciales. Ce success story au féminin prouve qu’un repreneur externe motivé peut transformer une petite entreprise en difficulté en misant sur l’innovation et le développement commercial, sans nécessairement injecter des capitaux énormes mais en apportant une nouvelle vision.

Chaque reprise est unique, mais ces exemples concrets partagent des constantes : un repreneur engagé et compétent, un plan de redressement crédible concentré sur les causes réelles des problèmes, et souvent le soutien d’un écosystème (salariés, investisseurs, partenaires publics ou privés) autour du projet. En France, des centaines d’emplois sont sauvés chaque année par la reprise d’entreprises en difficulté. Certes, l’exercice est risqué – on estime qu’une majorité des entreprises en RJ finissent malgré tout en liquidation si aucun plan viable n’est trouvé – mais lorsque tous les ingrédients du succès sont réunis, le pari du « repreneuriat » peut s’avérer gagnant tant pour le repreneur que pour l’économie locale.